« Charité bien ordonnée commence par soi-même »
Le bénévolat, école du don de soi et ciment social
Crise sanitaire, turbulences politiques… Contre vents et marées, le bénévolat se maintient mais subit de profondes transformations. Les jeunes s’engagent plus, les seniors de moins en moins. Est-ce à dire que, une fois passée la ferveur des débuts, la lassitude guette ? Et si, pour y remédier, on revenait au sens profond du bénévolat ? Par Raphaëlle Coquebert, pigiste.

Ils sont 38 % de Français (12,5 millions) à se mettre au service des autres ou d’une cause. C’est le constat de la 19e enquête annuelle sur le bénévolat menée par l’association Recherches et Solidarités. Plutôt rassérénant dans une société souvent pointée du doigt pour son hyper-individualisme, d’autant que l’on compte dans cette armada d’âmes généreuses 44 % des 15 – 34 ans. Une ombre au tableau toutefois : la courbe des plus de 65 ans chute, de pair avec une démotivation et une envie de passer la main. Quelles causes à cette démotivation et surtout quels remèdes ? Des causes objectives tenant à une évolution sociétale : l’implication des nouveaux venus est plus ponctuelle, moins conséquente en volume horaire, au détriment du long terme et de la pérennité des petites structures. Et des causes plus essentielles : peut-être une perte de sens qui fragilise le bénévolat ? Regardons les motivations de ces millions de bénévoles, tous secteurs confondus (social, santé, solidarité internationale, environnement, etc.). Avant d’être personnelles (reconnaissance sociale, acquisition de compétences…), elles sont altruistes : 85 % des sondés désirent « être utiles et agir pour les autres ».
À Angers (49), l’équipe de jeunes bénévoles (Conférence) présidée par Gwénaël, 28 ans, se divise en deux groupes : l’un affecté au service de repas en EHPAD, l’autre à la rencontre hebdomadaire de sans-abri. « Pourquoi je suis arrivé là ? » La réponse fuse : « Pour servir, tout simplement. » Aux yeux de Frédéric, 54 ans, nul besoin de se triturer les méninges : l’engagement va de soi ! Après s’être investi auprès des migrants, il a pris des responsabilités au sein des Scouts de France de Troyes (10). Rodé à la fréquentation des adolescents, l’ancien enseignant spécialisé a plaisir avec sa femme à les accueillir chez eux : « Il ne s’agit pas de s’acheter une bonne conscience. La disponibilité aux autres, le souci du collectif, c’est tout naturel. »
Le don, un appel intérieur
Les catholiques, majoritaires au sein des bénévoles de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, vont plus loin encore : à leurs yeux, l’offrande de sa vie est une réponse à l’oblation du Christ qui a sacrifié la sienne pour le salut de tous. « La vocation de l’homme consiste à se donner lui-même dans l’amour » rappelle le Catéchisme de l’Église catholique (n° 1604). Trésorier d’une équipe locale près de Toulon (Conférence Saint-Jean-Baptiste du pays de Fayence), Karim, sexagénaire baptisé il y a 7 ans, confesse avoir « ressenti le bénévolat comme un appel ». Sensible aux plus fragiles de par son métier d’éducateur spécialisé, il dit avoir trouvé par son engagement à la Société de Saint-Vincent-de-Paul un sens à sa conversion : « Aimer son prochain, partager quelque chose de soi, c’est sortir de son petit confort. »
Qu’ils croient ou non au Ciel, tous s’accordent sur la place fondamentale du bénévolat dans une société de prestations de services où tout se paie. « Le véritable amour n’attend rien en retour » assure Gwénaël. « Heureusement que la gratuité est encore de mise ! » Étudiant en 4e année à l’ECAM de Lyon, Théo renchérit : « Aujourd’hui, l’argent roi interfère dans les rapports humains. L’engagement sans valeur monétaire est précieux. » Tenu par son cursus universitaire de faire 25 heures de bénévolat, il a frappé à la porte d’une Conférence pour participer à des maraudes. Expérience plus que concluante : « Je me suis senti utile et en accord avec moi-même. »
Le bénévolat est donc une composante essentielle de notre société car se donner aux autres représente, selon le philosophe Martin Steffens, une réponse noble au mal et à la violence dont notre monde regorge.
Le relationnel avant tout
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, et le service des autres engendre parfois des frustrations. Dans plusieurs équipes, les bénévoles de la Société de Saint-Vincent-de-Paul ont fait remonter leur dépit de n’être plus que des « distributeurs de colis alimentaires », accomplissant une tâche ingrate et répétitive. Déception révélatrice du sens profond du bénévolat qui ne saurait s’en tenir à des actes de charité concrets initiés par une personne en surplomb de celui qu’elle veut aider. L’étude sur le bénévolat citée précédemment révèle que les satisfactions éprouvées dans le service de l’autre vont au-delà de « l’utilité, le sentiment de changer les choses ou celui du devoir accompli » : être avec les autres (contacts, échanges, convivialité) compte tout autant sinon plus. Avec les autres bénévoles, certes, mais aussi avec les personnes accueillies (lire Ozanam Magazine 236). Si Théo a tant aimé les maraudes, c’est parce qu’il a pu tisser des liens avec les sans-abri rencontrés. Les lectures faites en EHPAD lui laissaient un goût d’inachevé : « On repartait juste après sans pouvoir échanger avec les résidents. »
À la tête d’une équipe en Loire-Atlantique pendant six ans, Catherine, 65 ans, ne se retrouvait pas dans la distribution de colis, activité principale des bénévoles : « Je suis revenue à l’essentiel, la visite à domicile. Il y a eu quelques résistances, mais ça a tout changé. On prend du temps, on noue une relation. » Depuis quelques années, grâce à un partenariat avec la paroisse, des ateliers cuisine et repas partagés rassemblent les personnes visitées et d’autres, toutes confessions confondues : « C’est très riche et ressourçant. Le contact avec ces personnes me fait grandir. J’ai été infiniment touchée de leur présence à l’enterrement de mon mari ! »
De la charité à la rencontre
Et si la réponse au découragement se trouvait dans cet essentiel ? L’amitié tissée avec « le pauvre », écho à une autre forme de pauvreté constitutive de chacun de nous. « Les membres offrent leur temps, leurs biens, leurs dons et leur personne, dans un esprit de générosité » rappelle la Règle de la Société de Saint-Vincent-de-Paul (2.5.1). Se donner entièrement, c’est aussi engager son cœur. « Ce qui m’anime, c’est un désir de rencontre » martèle Marc-Antoine, 65 ans, engagé au sein d’une équipe à Dijon (21) dans des tournées rue à mains nues – qui ne proposent rien d’autre que de dialoguer. « Ça ne se passe pas toujours comme je voudrais, je peux être ignoré, voire insulté. Et après ? Il faut sortir de cette mentalité d’efficacité qui régente notre société. Seule importe notre fidélité. » Et si la lassitude s’en mêle ? « La Règle est pleine de sagesse ! Le compagnonnage du binôme s’avère précieux. On s’appuie les uns sur les autres. » Il conclut : « “Avec vous j’existe" m’a dit un jour un sans-abri que j’ai simplement regardé. Et un autre “Rien à fiche du fric. Vous me parlez, c’est tout ce que je veux." C’est ça qui constitue l’ADN du bénévolat. La relation. »

