« Faire ensemble, c’est reconnaître l’autre comme une personne »

Ancien chef d’entreprise reconverti dans l'entrepreneuriat social, Laurent de Cherisey est le fondateur des maisons partagées Simon de Cyrène où cohabitent des personnes handicapées et des personnes valides. Il est également l’auteur de nombreux ouvrages dont Partager peut tout changer. 

Quelle signi­fi­ca­tion a pour vous le faire ensemble ?

Le faire ensemble est au cœur du projet social de Simon de Cyrène. En effet, ce qui a entraîné la créa­tion de ces maisons en 2006 est le déve­lop­pe­ment du Samu qui, depuis les années 80, permet de sauver envi­ron 40 000 vies par an. Cepen­dant, les resca­pés basculent souvent dans une grande dépen­dance à la suite de plusieurs mois de coma, ce qui est un défi à la fois pour eux et pour la société.
Ils se retrouvent alors confron­tés au sens de leur vie. Or, ne pas limi­ter quelqu’un à son handi­cap ou à ses épreuves est un impé­ra­tif majeur qui touche à la dignité même de l’être humain. « Tu n’es pas que ton épreuve, tu n’es pas que ton handi­cap » : cette affir­ma­tion est pour moi la porte d’en­trée, la racine profonde du faire avec. Simon de Cyrène, en propo­sant un habi­tat partagé fondé sur des valeurs de frater­nité, offre donc une réponse inno­vante, diffé­rente de celle des insti­tu­tions clas­siques.

Le faire ensemble, une valeur à défendre ?

Abso­lu­ment, il s’agit même d’un choix civi­li­sa­tion­nel car consi­dé­rer la ques­tion des plus fragiles revient à sonder les tréfonds de l’être. Qu’est-ce
que cela signi­fie quand saint Vincent de Paul dit : « Les plus fragiles sont nos maîtres » ? Simple­ment que les plus fragiles ne peuvent pas être dans l’idéo­lo­gie tyran­nique d’une vie réus­sie mesu­rée à l’aune de leurs perfor­mances, de leur renta­bi­lité ou de leur pouvoir. Tout cela n’est plus éligible quand on est très dimi­nué ou dans un grand dénue­ment à cause du handi­cap, de l’âge ou de la pauvreté. Il ne reste plus que l’es­sen­tiel.

La société est alors confron­tée à deux grandes options : la tenta­tion d’une culture de mort, comme l’ap­pe­lait Jean-Paul II, une culture qui consi­dère que, quand on est fragile, on n’a plus de valeur, et une culture de vie qui consi­dère, au contraire, que, quand on prend le temps d’écou­ter les plus dému­nis, ils nous montrent la voie, un mode d’em­ploi qui est un appel à la rela­tion. Quand on est croyant, il est très boule­ver­sant de se dire que tout le projet de Dieu est d’être amour avec Lui, et cette espé­rance profonde part des plus faibles.

Il faut se laisser aller à une rencontre

Comment se concré­tise cet appel à la rela­tion ?

Les visi­teurs sont souvent surpris, quand ils viennent à Simon de Cyrène, d’en­tendre des gens très handi­ca­pés dire que ce qui les fait le plus souf­frir, ce n’est pas le handi­cap mais la soli­tude. Notre asso­cia­tion est née de ce cri prophé­tique. Et, pour y répondre, il ne faut pas que de l’ar­gent, des agré­ments et des subven­tions. Il faut se lais­ser aller à une rencontre qui ne soit pas déca­lée et descen­dante, où le plus fort se penche vers le plus faible, mais où l’on prend le temps de dépas­ser ses peurs pour accueillir l’autre tel qu’il est.

Le deuxième cri prophé­tique que nous enten­dons, notam­ment à Simon de Cyrène, est « j’ai besoin de toi » car les personnes ne peuvent souvent plus se lever seules ou manger seules et leur vie est en péril. Il s’agit sans doute du plus beau cadeau qu’un être humain puisse faire à un autre dans une société où règnent l’in­di­vi­dua­lisme et l’injonc­tion à se débrouiller par soi-même. La personne fragile nous ouvre un chemin d’al­liance en appe­lant, dans sa vulné­ra­bi­lité, à l’ac­com­pa­gne­ment. C’est ce que Charles Péguy appe­lait la flamme fragile de l’es­pé­rance : l’es­pé­rance que, ensemble, la vie jaillira plus fort que nos épreuves. Comme le cadeau de Pâques nous fait voir que la résur­rec­tion est plus forte que la mort, la vie ne s’ar­rête pas à l’épreuve et à nos corps bles­sés.

Le faire ensemble serait donc un cadeau partagé ?

En nous faisant part de leurs besoins, les personnes fragiles nous offrent le cadeau de la confiance qui est à l’ori­gine de la foi. Foi et confiance sont les deux faces d’une même pièce, les deux racines d’une rela­tion qui me fait du bien, qui m’aide à dépas­ser mes souf­frances et mes fragi­li­tés pour goûter à la joie de la Bonne Nouvelle.

Une dimen­sion fonda­men­tale mise en lumière chez Simon de Cyrène est celle du décloi­son­ne­ment. Dans une société qui n’a jamais autant construit de murs, oser s’en­ga­ger avec l’autre nous libère de l’es­cla­vage de nos peurs.

Nous sommes faits pour être humains ensemble, pour goûter à la féli­cité parfaite et se prépa­rer ainsi à cette commu­nion d’amour qui sera la commu­nion de l’éter­nité. Et, dans toutes les acti­vi­tés du quoti­dien comme les courses, la cuisine ou encore le jardi­nage, se mani­feste cet appel à une frater­nité qui me rend heureux et me trans­forme complè­te­ment. 

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