L'exemple de l'espace Saint-Julien à Laval


Benoît Gruau
« Ce projet n’aurait pas pu naître sans un groupe de départ très lié »
Comment mobiliser ressources et moyens humains sur un territoire pour donner vie à une utopie ? Benoît Gruau, président du fonds de dotation de l’Espace Saint-Julien (non lié à la Société de Saint-Vincent-de-Paul), détaille le développement de ce projet intergénérationnel inauguré en 2022 à Laval (Mayenne).
Qu’est-ce que l’Espace Saint-Julien?
Les gens ont besoin de se retrouver à différents états d’âges, de conditions, de situations. L’Espace Saint-Julien répond à ce besoin à travers trois dimensions : intergénérationnelle, sociale et éducative. Il se compose de sept pôles accueillant cinq générations : une résidence senior, une micro-crèche intergénérationnelle, un accueil périscolaire, un internat pour des collégiens et des lycéens, un foyer d’étudiantes et jeunes travailleuses, un café solidaire et une maison médicale. Lorsque l’espace sera au complet, plus de 300 personnes fréquenteront la zone.
Ici, les gens ont le sourire. Les seniors qui nous ont rejoints ont retrouvé la vie parce qu’ils voient des jeunes, ils participent à des ateliers mémoire, couture, écriture, ils racontent des histoires aux enfants… Il y a des goûters, des moments de prière, des repas en commun. On va créer un jardin potager, faire appel aux écoles publiques voisines, à l’EHPAD installé à côté… L’idée de Saint-Julien, c’est vraiment que les gens se retrouvent.
Comment l’idée a-t-elle pu se concrétiser?
L’internat avait été créé et, après trois ou quatre ans, il marchait si bien qu’il devait refuser des demandes de familles. C’est en parlant de déménagement que l’idée a germé, vers 2015–2016, de créer un lieu intergénérationnel. À l’époque, la Ville de Laval a décidé de vendre son ancien hôpital soit 6 000 m2 sur 1,7 ha de terrain en plein centre-ville. On n’était que cinq ou six au départ, sans un euro en poche pour un projet à 11 millions d’euros !
On a rencontré Michel Lelièvre, promoteur au Mans. On lui a expliqué qu’on voulait acheter le terrain et on lui a demandé de nous avancer l’argent mais en nous gardant majoritaires sur la Société civile immobilière (SCI) qu’on allait créer ensemble. Contre toute attente, il a accepté ! On a acheté en 2017, réalisé des travaux entre 2017 et 2021 et en parallèle, on a mené un énorme travail de réflexion et de formalisation pour donner au projet sa substance, son identité. On a écrit une charte des valeurs, pensé son financement, son modèle économique, sa gouvernance… de sorte à l’inscrire dans la durée. Notre objectif, c’est qu’après la mise en œuvre, on passe le relais et que ce projet perdure dans l’esprit de sa fondation.
Qu’est ce qui a permis la réussite de ce projet?
Pour moi, ce projet n’aurait pas pu naître sans un groupe de départ très lié. L’aumônier, Don Pierre-Antoine Belley, nous a toujours dit que pour un tel projet, le risque n’était pas de manquer d’argent, les aspects techniques ou matériels non plus, qu’on trouverait toujours des solutions. Pour lui, le risque était de perdre l’unité de l’équipe. Notre charte nous a beaucoup aidés.
Les bénévoles, fédérés par l’équipe de départ, sont aujourd’hui 80, de tous profils et types d’implications. On a aussi créé une association des amis de Saint-Julien, notamment pour aller chercher des sympathisants isolés. Ce sont des personnes qui ne peuvent pas s’installer ici pour le moment mais qui peuvent bénéficier du restaurant de la résidence senior par exemple.
Quel est le modèle économique?
Notre projet a vocation à être viable dans la durée. Nous n’avons demandé aucune subvention publique. Chaque pôle a une entité juridique et économique indépendante. Chaque chef de pôle loue l’espace qu’il occupe à la SCI Saint-Julien. Le fonds de dotation Saint-Julien en est associé à 51%, les 49% restants sont ceux du fonds de dotation Lelièvre. L’avantage, c’est qu’on n’a pas d’actionnaire. On ne cherche pas le dividende. Ce sont les loyers qui permettent de rembourser l’emprunt de 6,4 millions d’euros qu’on a réalisé pour acheter l’Espace Saint-Julien. 70% des loyers proviennent de la résidence senior, c’est quand même le bateau amiral du projet. Il faut donc, pour tenir le modèle économique, que la résidence se remplisse. Aujourd’hui, on a 36 résidents, ce qui est conforme à nos projections.
On a aussi fait appel aux dons parce qu’on avait besoin de capitaux propres pour acheter le lieu. On a reçu notamment l’aide de la fondation Bettencourt-Schueller, – qui nous a quand même donné un million d’euros – mais aussi d’autres fondations, d’entreprises en Mayenne… Ce n’est jamais gagné mais on leur parle avec le cœur, avec l’envie, et désormais, avec nos réalisations.