Vivre le Carême 2025
La société française serait-elle véritablement indifférente ?

Quand saurons-nous dire stop à l’indifférence ? Plusieurs faits poignants ces dernières semaines ont marqué l’actualité. Leur point commun est qu’ils révèlent tous une situation d’indifférence à l’égard des ainés. Posons-nous la question : comment un homme âgé de 84 ans, (photographe de renom) peut-il mourir de froid après une agonie de 9 heures dans une rue parisienne où il vient de chuter dans la plus grande indifférence ? Comment une femme de 73 ans peut-elle décéder à Saint-Brieuc dans son lit dans une telle solitude que sa mort ne fût découverte qu’au bout de deux ans ? Comment notre société peut-elle laisser la recherche du profit prendre le pas sur l’humain et l’aide aux personnes dépendantes dans la gestion de certains établissements spécialisés ? Ces faits d’actualités sont-ils voués à devenir la norme durant la décennie qui s’ouvre ?
Les exemples d’indifférence sont malheureusement partout visibles. La récurrence de la passivité à certaines situations, le désintérêt à l’égard de l’autre, sont des maux que nous rencontrons tous. Nous en sommes nous-mêmes témoins et parfois acteurs, tantôt victimes, tantôt auteurs .
La société française serait-elle véritablement indifférente envers les personnes fragiles touchées par l’isolement et parfois la précarité ? La devise de la France est belle : Liberté, Egalité, Fraternité, mais qu’est donc devenue la fraternité ? Est-elle vouée à disparaître de notre « logiciel » social ? La société française est prise en exemple pour son système de santé. La société française est saluée pour la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, alors ne devrait-elle pas être la toute première à se soucier de solidarité et de fraternité !
L’indifférence peut parfois naître de façon involontaire. Quelles peuvent en être les raisons ?
Pourquoi l’homme peut-il être indifférent envers son prochain ?
Crainte d’être impliqué dans une situation soudaine qui dépasse ? d’avoir à donner de son temps ? d’être contrarié dans ses habitudes, sa vie bien réglée ? plus profondément d’avoir à donner de soi ?
Sentiment que la solidarité, l’aide d’urgence sont de la responsabilité des collectivités locales, de l’Etat voire des associations, enfin de tous les autres mais pas la mienne.
Nous savons aussi que les exemples malheureux cités ne doivent pas cacher l’engagement de tous ceux qui consacrent leur temps, leur énergie, leur argent au soulagement des peines des plus précaires et des plus démunis.
La France est l’un des pays où le bénévolat est le plus actif et le plus développé. Dans son livre blanc « Accompagner la générosité des Français » France Générosité rappelle que la France compte pas moins de 20 millions de bénévoles en 2021. Elle dispose là d’un capital extraordinaire qu’elle se doit de préserver car il est un des éléments constitutifs de notre tissu social. Il importe de le transmettre et de le renforcer.
Ainsi, c’est aujourd’hui qu’il faut construire notre monde de demain, les valeurs humaines, sont partagées aujourd’hui à nos enfants pour qu’ils ne pérennisent pas et se défassent de la « société du déchet » où la satisfaction des besoins personnels prévaut sur la recherche d’une vie en communauté.
La crise sanitaire aurait-elle profondément changé notre société au point qu’elle se referme sur elle-même ? En mars 2020, début de la pandémie, un formidable élan d’humanité avait uni pendant plusieurs mois jeunes et moins jeunes, riches et pauvres. Qu’est-il devenu aujourd’hui ?
Selon la dernière étude1 sur les solitudes en France réalisée par le Crédoc, plus de 7 millions de personnes sont touchées par l’isolement relationnel, soit 14% de la population française, un chiffre qui ne cesse de croître d’année en année.
Ne reportons pas sur les autres, notamment les instances dirigeantes la création d’un monde nouveau. Pour lutter avec succès contre ce virus de l’indifférence qui ronge notre société de l’intérieur, il est bon et nécessaire que chacun fasse le point sur l’aide qu’il pourrait apporter à son prochain. Lutter contre l’indifférence est un véritable défi. Il n’y a pas de nouveau modèle de solidarité à créer, il n’y a pas de recette miracle à appliquer, il y a tout simplement un changement d’attitude à adopter !
Arrêtons-nous juste un instant, prenons le temps de regarder celui qui erre comme une âme en peine, saluons le s’il fait l’aumône, voyons comment l’aider à se sentir moins seul, essayons de soulager ainsi sa souffrance.
Changer de regard envers les personnes exclues de tout, oser les voir et leur parler, c’est déjà le premier pas pour entrer dans une démarche fraternelle et vaincre l’indifférence : « C’est un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité. »
Michel Lanternier, président de la Société de Saint-Vincent-de-Paul