La société française serait-elle véritablement indifférente ?

Quand saurons-nous dire stop à l’in­dif­fé­rence ? Plusieurs faits poignants ces dernières semaines ont marqué l’ac­tua­lité. Leur point commun est qu’ils révèlent tous une situa­tion d’in­dif­fé­rence à l’égard des ainés. Posons-nous la ques­tion : comment un homme âgé de 84 ans, (photo­graphe de renom) peut-il mourir de froid après une agonie de 9 heures dans une rue pari­sienne où il vient de chuter dans la plus grande indif­fé­rence ? Comment une femme de 73 ans peut-elle décé­der à Saint-Brieuc dans son lit dans une telle soli­tude que sa mort ne fût décou­verte qu’au bout de deux ans ? Comment notre société peut-elle lais­ser la recherche du profit prendre le pas sur l’hu­main et l’aide aux personnes dépen­dantes dans la gestion de certains établis­se­ments spécia­li­sés ? Ces faits d’ac­tua­li­tés sont-ils voués à deve­nir la norme durant la décen­nie qui s’ouvre ?  

Les exemples d’in­dif­fé­rence sont malheu­reu­se­ment partout visibles. La récur­rence de la passi­vité à certaines situa­tions, le désin­té­rêt à l’égard de l’autre, sont  des maux que nous rencon­trons  tous. Nous en sommes nous-mêmes témoins et parfois acteurs, tantôt victimes, tantôt auteurs . 

La société française serait-elle véri­ta­ble­ment indif­fé­rente envers les personnes fragiles touchées par l’iso­le­ment et parfois la préca­rité ? La devise de la France est belle : Liberté, Egalité, Frater­nité, mais qu’est donc deve­nue la frater­nité ? Est-elle vouée à dispa­raître de notre « logi­ciel » social ? La société française est prise en exemple pour son système de santé. La société française est saluée pour la décla­ra­tion des Droits de l’homme et du citoyen, alors ne devrait-elle pas être la toute première à se soucier de soli­da­rité et de frater­nité !  

L’in­dif­fé­rence peut parfois naître de façon invo­lon­taire. Quelles peuvent en être les raisons ?  

Pourquoi l’homme peut-il être indif­fé­rent envers son prochain ? 

Crainte d’être impliqué dans une situa­tion soudaine qui dépasse ? d’avoir à donner de son temps ?  d’être contra­rié dans ses habi­tudes, sa vie bien réglée ? plus profon­dé­ment d’avoir à donner de soi ?  

Senti­ment que la soli­da­rité, l’aide d’ur­gence sont de la respon­sa­bi­lité des collec­ti­vi­tés locales, de l’Etat voire des asso­cia­tions, enfin de tous les autres mais pas la mienne. 

Nous savons aussi que les exemples malheu­reux cités ne doivent pas cacher l’en­ga­ge­ment de tous ceux qui consacrent leur temps, leur éner­gie, leur argent au soula­ge­ment des peines des plus précaires et des plus dému­nis.  

La France est l’un des pays où le béné­vo­lat est le plus actif et le plus déve­loppé. Dans son livre blanc « Accom­pa­gner la géné­ro­sité des Français » France Géné­ro­sité rappelle que la France compte pas moins de 20 millions de béné­voles en 2021. Elle dispose là d’un capi­tal extra­or­di­naire qu’elle se doit de préser­ver car il est un des éléments consti­tu­tifs de notre tissu social. Il importe de le trans­mettre et de le renfor­cer. 

Ainsi, c’est aujour­d’hui qu’il faut construire notre monde de demain, les valeurs humaines, sont parta­gées aujour­d’hui à nos enfants pour qu’ils ne péren­nisent pas et se défassent de la « société du déchet » où la satis­fac­tion des besoins person­nels prévaut sur la recherche d’une vie en commu­nauté. 

La crise sani­taire aurait-elle profon­dé­ment changé notre société au point qu’elle se referme sur elle-même ? En mars 2020, début de la pandé­mie, un formi­dable élan d’hu­ma­nité avait uni pendant plusieurs mois jeunes et moins jeunes, riches et pauvres. Qu’est-il devenu aujour­d’hui ? 

Selon la dernière étude1 sur les soli­tudes en France réali­sée par le Crédoc, plus de 7 millions de personnes sont touchées par l’iso­le­ment rela­tion­nel, soit 14% de la popu­la­tion française, un chiffre qui ne cesse de croître d’an­née en année. 

Ne repor­tons pas sur les autres, notam­ment les instances diri­geantes la créa­tion d’un monde nouveau. Pour lutter avec succès contre ce virus de l’in­dif­fé­rence qui ronge notre société de l’in­té­rieur, il est bon et néces­saire que chacun fasse le point sur l’aide qu’il pour­rait appor­ter à son prochain. Lutter contre l’in­dif­fé­rence est un véri­table défi. Il n’y a pas de nouveau modèle de soli­da­rité à créer, il n’y a pas de recette miracle à appliquer, il y a tout simple­ment un chan­ge­ment d’at­ti­tude à adop­ter ! 

Arrê­tons-nous juste un instant, prenons le temps de regar­der celui qui erre comme une âme en peine, saluons le s’il fait l’au­mône, voyons comment l’ai­der à se sentir moins seul, essayons de soula­ger ainsi sa souf­france. 

Chan­ger de regard envers les personnes exclues de tout, oser les voir et leur parler, c’est déjà le premier pas pour entrer dans une démarche frater­nelle et vaincre l’in­dif­fé­rence : « C’est un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’hu­ma­nité. »  

Michel Lanter­nier, président de la Société de Saint-Vincent-de-Paul 

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